Très chère maison

Notre salle à manger à Montélimar.

Deux ans après notre installation, le point sur notre home sweet home.

Début août, notre femme de ménage a disparu. Elle a évoqué un problème de voiture, une baisse de forme, puis plus rien. Au-delà de l’inquiétude et de l’incompréhension, cette absence soudaine a eu des conséquences inattendues.

Mark et moi l’employions deux heures par semaine. C’était peu au regard de la taille de la maison, le nettoyage était donc limité, mais cela nous convenait. Je me fichais pas mal qu’il reste quelques toiles d’araignée dans les coins et que les carreaux ne soient jamais faits. Les sols et les sanitaires étaient propres, je n’en demandais pas plus.

Après des mois d’attente, moult appels, messages et lettres, on a compris qu’elle ne reviendrait plus. Au lieu de nous mettre à la recherche de quelqu’un d’autre, j’ai suggéré que l’on se passe d’aide-ménagère. Je faisais désormais nos comptes quotidiennement et n’étais plus très sûre que l’on puisse se permettre une telle dépense. Lorsque nous habitions notre petit appartement de Clichy, nos deux salaires pouvaient absorber ce coût sans trop de difficultés. Depuis que nous habitons Montélimar, notre situation n’est plus la même : mes revenus d’indépendante sont moindres et, bien que la vie soit moins chère qu’à Paris, nos charges s’avèrent supérieures à ce que l’on avait imaginé.

Avec Mark, nous ne nous sommes pas rendu compte tout de suite de ce que signifiait l’entretien d’une grande maison construite il y a 60 ans. Nous l’avions si bien rénovée à notre arrivée que nous avons passé les deux premières années dans une sorte d’extase. Aujourd’hui, la lune de miel est terminée. Cet automne, entre un voyage en famille et des travaux dans le jardin, il a fallu choisir. La chaudière commence à donner des signes de faiblesses. Tout comme le portail, les canalisations de la salle de bain, la cabine de douche. Jour après jour, j’ajoute des lignes de provision à notre budget et revoie nos priorités.

Nous ne partirons pas à Cadaqués à la Toussaint, et le week-end, nous avons de nouveaux rituels. Mark s’est lancé dans le ménage avec une obsession maniaque. Vitres et lavabos n’ont jamais été aussi rutilants. Le dimanche, il enchaîne avec l’entretien du jardin. De mon côté, chaque samedi, je consacre une bonne heure à passer l’aspirateur, faire les poussières… et chasser les toiles d’araignée. Le soir, un peu fatigués, nous nous demandons à quoi nous passions notre temps libre, avant.

Contre toute attente, ce changement a scellé notre attachement à la maison. La briquer, c’est la faire nôtre. Le nez sur le terrazzo, j’en connais maintenant chaque fissure. Avec la pratique, j’ai rôdé ma technique pour nettoyer le dessus des plinthes, l’arrière des radiateurs, le sol sous notre lit. Je ne laisse plus les araignées prendre leurs aises. Mark et moi, chacun à notre manière, avons – enfin – pris possession des lieux.

Nous nous racontons moins d’histoires. Après avoir fait flamber plusieurs stères de bois dans la cheminée la première année, nous nous sommes contentés de quelques bûches l’hiver dernier. Après avoir minutieusement pensé l’aménagement de notre salon, nous avons admis que nous préférions passer nos soirées autour de la grande table de la salle à manger. Globalement, je me suis calmée sur la déco. J’ai arrêté de regarder chaque espace vide en me demandant ce que je pourrais bien y mettre. À l’étage, le pallier, laissé nu, résonne. La propriétaire précédente y avait mis une armoire, elle voulait nous la laisser, on a refusé. Je ne le regrette pas. Dans notre chambre, je me suis longtemps interrogée : avions-nous besoin de plus de cadres aux murs ? D’une plante près de la fenêtre ? Après réflexion, nous avons privilégié l’espace et le minimalisme.

Même mes envies de vaisselle se sont tues. Je n’en veux pas plus, j’ai ce qu’il me faut. Je repense avec tendresse à nos prises de tête des débuts, lorsque chaque achat de nouvel objet donnait lieu à des heures de recherches et de discussions. Nous avions raison d’accorder autant d’importance à ces choix. Nous savions que nous en prenions pour longtemps. À l’arrivée, tout me plaît dans cette maison. Je ne me suis jamais sentie aussi ancrée dans un lieu.

« Je sais beaucoup plus pourquoi je travaille aujourd’hui, ai-je confié à Mark il y a quelques semaines. Je suis attachée à notre qualité de vie ici, à cette maison, à ce jardin, à cette sensation d’espace. Je suis prête à faire tous les efforts possibles pour continuer de vivre longtemps là, quel qu’en soit le prix. » Il est resté un moment silencieux. « On ne peut pas deviner combien de temps on pourra se permettre de vivre dans cette maison, a-t-il finalement observé, mais ça ne m’inquiète pas. L’essentiel, c’est que l’on soit ensemble, tous les trois. Peut-être qu’un jour on retournera vivre dans un petit appartement. Je suis sûr que l’on se débrouillera pour le rendre joli et pour y être heureux aussi. »

Sur le moment, sa remarque a réveillé toutes mes peurs de manquer. Alors que j’essayais de me convaincre que cette maison serait à moi pour toujours, lui me rappelait que rien n’était gagné.

Il m’a fallu plusieurs jours pour accepter son constat, puis pour y puiser une force nouvelle : c’est précisément parce qu’on ne sait pas combien de temps on aura la chance d’habiter cette maison que l’on a à cœur d’en profiter pleinement, maintenant.

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