Une vie trop réglée ?

Piet’s Window III, 2021, Tobias Stutz

Plus le cadre de mon quotidien est strict, plus je m’y sens libre.

J’achète toujours la même crème hydratante, les mêmes chaussettes, les mêmes sous-pulls.

Je me lève à 5h, vais courir à 6h30, prends mon petit-déjeuner à 8h, médite à 9h45, déjeune à 13h, dîne à 19h, me couche à 22h.

Je ne bois pas d’alcool, ne mange ni lait ni sucre.

Sur le parking de Carrefour, je me gare toujours au même endroit.

 « Quelle place reste-t-il pour la spontanéité ? » m’a demandé Myriam après avoir lu l’une de mes dernières newsletters. Son intérêt était teinté d’incompréhension : « J’aimerais bien avoir des routines, mais je suis l’inverse, free style. D’où te vient ce permanent besoin de rigueur ? N’est-ce pas trop astreignant ? T’arrive-t-il encore de faire des choses sur un coup de tête ? »

Je ne suis pas sûre de comprendre moi-même comment je fonctionne. Ce que je puis répondre à Myriam en revanche, c’est que je n’ai pas toujours été aussi stricte dans mes habitudes. J’ai même longtemps été plutôt désorganisée. Mon besoin de poser des cadres partout, tout le temps, vient du fait que, sans cette discipline personnelle, mon état naturel, c’est le chaos. J’ai vécu l’essentiel de ma vie d’adulte sans faire mes comptes. J’ai un fort penchant à la compulsion : si je ne fais pas attention, je dépense trop, je mange trop, je suis trop sur mon téléphone. J’ai tellement de mal à m’arrêter que, pour vivre normalement, j’ai dû développer tout un système d’autofreinages.

Face à ma nature excessive, j’ai mis du temps à oser faire les choses à ma façon. La plupart des gens ne ressentent pas le besoin de s’outiller d’un arsenal de règles pour venir à bout de leurs journées. Depuis quelques années, la cinquantaine approchant, je me lâche. Je n’ai plus de temps à perdre. Je ne suis pas sûre d’avoir raison, mais je tente. Je pousse les curseurs, puis j’ajuste. Chez moi, c’est test and learn du matin au soir.

Ce système peut paraître astreignant, mais à l’intérieur, je m’y sens libre et en sécurité. Une fois mon emploi du temps posé, je n’ai plus à y penser, je peux me focaliser sur ce que j’ai décidé que j’allais faire. Je peux être présente, à 100%. Quand quelqu’un me parle, il a toute mon attention. Quand je mange, je savoure. Quand je me mets de la crème sur le visage, je prends soin de moi. L’espace d’un instant, le bordel ambiant n’existe plus.

Maîtriser ces cadres-là, m’y sentir protégée, me permet d’affronter le reste avec plus d’énergie, de souplesse et de confiance en moi. C’est parce que j’ai accordé mon alimentation à mon organisme, mes vêtements à mon style de vie, ma consommation à mes moyens que je peux me concentrer sur ce que je ne contrôle pas. Car mon but ultime, ce n’est pas de rester figée dans mes routines, mais de savoir m’adapter. D’être suffisamment agile pour mobiliser mes ressources en un claquement de doigts, tant face à une menace que face à une opportunité. J’ai une conscience aigüe de ma propre fragilité et du désordre du monde. Je connais aussi mes priorités. Quand une bonne idée surgit, je lui fais de la place. Quand une urgence s’impose, mes règles n’existent plus.

Enfin, je place mon intuition au-dessus de tout. « T’arrive-t-il encore de faire des choses sur un coup de tête ? » s’enquérait Myriam. Tout dépend de quoi on parle. Je fais moins de folies avec ma carte bleue, mais quand je ne sens pas une situation, je n’attends plus de trouver une raison valable pour m’en extirper. De manière générale, les décisions à prendre s’imposent à moi plus facilement. Dans une discussion, je parviens de mieux en mieux à dire ce qui me vient à l’esprit. Et j’ose me dévoiler davantage à chaque newsletter…

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