Quand j’ai trop mangé
Ne pas paniquer. Observer. Ajuster.
Depuis quelques mois, j’ai de nouveau tendance à manger plus que de raison. Je pourrais me dire que ce n’est pas grave, que c’est de saison, que ça impacte peu ma silhouette. C’est vrai.
Je sais aussi reconnaître ce signal d’alerte. Je me suis encore perdue en route. La nourriture est redevenue un refuge, ce qui dans mon cas est voué à l’échec car je lui en demande trop. Un bol de noix de cajou ne peut pas apaiser mes tensions intérieures. Tout au plus les étouffera-t-il un quart d’heure.
Avant d’aller plus loin, un bref rappel des épisodes précédents s’impose pour que celles et ceux qui viennent d’arriver (bienvenue !) ne soient pas trop perdus. J’ai 47 ans, une longue histoire de compulsions alimentaires derrière moi. J’ai stoppé net mon addiction au sucre il y a six ans, quand on m’a annoncé que j’avais un cancer du sein. Je suis aujourd’hui guérie, mais depuis, je poursuis inlassablement ma quête de mieux être. Cela passe beaucoup par l’alimentation. J’avance à tâtons. Je ne mange plus ni sucre, ni lait, ni pain, je ne bois plus d’alcool car mon corps ne les supporte plus.
Cette abstinence et la lecture du livre Glucose Révolution, de Jessie Inchauspé, ont fortement réduit mes compulsions, mais le terrain reste fragile. D’autant plus que je suis sous hormonothérapie : je prends un médicament, le Tamoxifène, qui a l’avantage de limiter les risques de rechute de cancer, mais qui me ménopause artificiellement. Depuis, en dépit d’un bon métabolisme, mon corps a de plus en plus de mal à compenser le moindre écart.
Je me suis adaptée. À force d’introspection et d’activité physique, je suis arrivée à une forme d’équilibre très personnel… jusqu’à ces derniers mois, donc.
Pour comprendre ce qui bloque, j’écris. J’explore mon rapport à la nourriture par des flots de pensées, le matin ou en pleine journée, quand je sens poindre une faim émotionnelle. Me sonder ainsi m’a permis de mieux comprendre les besoins de mon corps et de procéder à une série de micro-changements pour faciliter ma digestion et réduire les risques de dérapage :
- J’ai encore réduit ma consommation de sel. J’étais déjà vigilante, mais plus ça va, moins mon organisme parvient à l’encaisser. Il déclenche chez moi une cascade de réactions pas cool : excitation de l’appétit, irritabilité, crampes, rétention d’eau.
- Je pèse mes portions – à la longue, cela me permet de cerner mes limites. Je sais quelle quantité je ne dois pas dépasser pour que tout se passe bien. La fixer avant de passer à table m’enlève la charge mentale d’avoir à réfléchir à l’éternelle possibilité de me resservir.
- Je mâche davantage, je mange plus lentement et loin de tout écran.
- Je me lève dès que j’ai fini mon repas. Bouger me permet non seulement d’enclencher la digestion, mais aussi d’éviter d’être tentée d’aller chercher un paquet de chips. Quitter la table, c’est me sauver, littéralement.
Ces ajustements ont amélioré les choses, mais ils concernaient uniquement mon rapport à la nourriture proprement dite. Ce n’était pas suffisant. Il me fallait également explorer mon rapport aux autres lors des repas. Un questionnement sur l’idée de partage a émergé. Déjeuner ou dîner avec les gens que j’aime est un de mes plus grands plaisirs sur terre, mais c’est aussi un tiraillement, car, à table, soit je mange, soit je parle, mais j’ai le plus grand mal à faire les deux. Même savoir quoi choisir entre les deux m’est difficile, tant j’aime l’un et l’autre.
Avec le temps, j’ai affiné une stratégie. En début de repas, je mange et j’écoute en silence. J’adore que mon interlocuteur me raconte sa vie. Le plaisir est double : je savoure dans un même mouvement son propos et le contenu de mon assiette. Mais tôt ou tard, c’est à moi de parler, et là, ça se corse. Vais-je consentir à poser ma fourchette ? Une personne normalement constituée le fera sans problème, ce qui lui permettra de laisser venir la sensation de satiété. Moi, je dois faire un effort pour marquer une pause.
En ce moment, le nœud est là. Je dois réapprendre à laisser l’autre me séparer de la nourriture. Prendre ma place en prenant la parole. Laisser sortir mes mots plutôt que de me contenter d’ingurgiter ceux des autres.